Georges Perec.
Je débarque un peu, c'est seulement maintenant que je découvre à quel point Perec est un génie (il commence à être ex aequo avec Bukowski dans mon coeur).
C'est dur d'exprimer combien ce livre est trop cool. Peut-être qu'il suffit de dire qu'il a écrit tous les trucs auxquels je pense mais que j'arrive pas à mettre en mots.
Dans "Douze regards obliques"
Sur un nombre impressionnant d'affiches apposées sur les encore récents abribus, trois bambins aux regards terriblement enfantins ont, pendant une ou deux semaines, vers octobre dernier, adéquatement mis en valeur les pull-overs, écharpes et bérets susdécrits : leurs poses, leurs expressions, leurs vêtures, leurs relations, aussi bien sur le plan de la mythologie publicitaire que sur celui de ce que l'on pouvait supposer être la réalité (leur existence en tant que modèles, le rôle qu'on leur faisait jouer, le rôle qu'ils se jouaient à eux-mêmes, l'entassement successif des investissements - psychiques et économiques - dont ils étaient en même temps l'enjeu et les moyens) me sont apparus comme une des manifestations les plus ignobles du monde dans lequel nous vivons."
"Les lieux d'une ruse"
En même temps s'instaura comme une faillite de ma mémoire : je me mis à avoir peur d'oublier, comme si, à moins de tout noter, je n'allais rien pouvoir retenir de la vie qui s'enfuyait. Chaque soir, scrupuleusement, avec une conscience maniaque, je me mis à tenir une espèce de journal : c'était tout le contraire d'un journal intime ; je n'y consignais que ce qui m'était arrivé d'"objectif" : l'heure de mon réveil, l'emploi de mon temps, mes déplacements, mes achats, le progrès - évalué en lignes ou en pages - de mon travail, les gens que j'avais rencontrés ou simplement aperçus, le détail du repas que j'avais fait le soir dans tel ou tel restaurant, mes lectures, les disques que j'avais écoutés, les films que j'avais vus, etc.
Cette panique de perdre mes traces s'accompagnait d'une fureur de conserver et de classer. Je gardais tout : les lettres avec leurs enveloppes, les contremarques de cinéma, les billets d'avions, les factures, les talons de chèques, les prospectus, les récépissés, les catalogues, les convocations, les hebdomadaires, les feutres secs, les briquets vides, et jusqu'à des quittances de gaz et d'électricité concernant un appartement que je n'habitais plus depuis six ans, et parfois je passais toute une journée à trier et à trier, imaginant un classement qui remplirait chaque année, chaque mois, chaque jour de ma vie."
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